Compte Search Menu

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l’utilisation de cookies permettant d’améliorer le contenu de notre site, la réalisation de statistiques de visites, le choix de vos préférences et/ou la gestion de votre compte utilisateur. En savoir plus

Accepter

Des révoltes qui font date #20

18 février 1977 // La République de Kalakuta est envahie par l'armée nigériane

pochette du disque Zombie de Fela Kuti
L'attaque de la République de Kalakuta

Nigéria, Fela Kuti, protest song, afrobeat, Des révoltes qui font date, Kalakuta

publié le par Anne-Sophie De Sutter

Le 18 février 1977, un millier de soldats armés jusqu’aux dents attaquent la République de Kalakuta et incendient les bâtiments et maisons. Une histoire en plusieurs épisodes à propos du chanteur nigérian Fela Kuti.

Sommaire

Fela Kuti

Fela Kuti (1938-1997) est aujourd’hui considéré comme le père de l’afrobeat, cette musique nigériane fusionnant des éléments afro-américains du funk et du jazz à des traditions locales et des rythmes yorubas. Il est né en 1938 dans la famille Ransome-Kuti, une dynastie influente au sein de l’ethnie Yoruba. Son père était révérend et a fondé des syndicats d’étudiants et d’enseignants ; sa mère a défendu les droits des femmes. Suivant l’exemple de ses parents, il utilisera tout au long de sa carrière la musique comme une arme, s’investissant dans la lutte contre la corruption des élites du gouvernement et des militaires mais dénonçant également la misère des ghettos de Lagos. Ce répertoire n’est évidemment pas du goût des autorités et provoque l’ire de celles-ci ; elles n’hésiteront pas à prendre des mesures radicales pour faire taire l’artiste, de plus en plus populaire.

Le Nigéria était indépendant depuis 1960, mais de nombreux coups d’État se sont par la suite succédé et des luttes interethniques ont éclaté, avec la guerre du Biafra (1967-1970) comme point d’orgue le plus sanglant. Au moment de cette guerre, Kuti était aux États-Unis où il a rencontré Sandra Smith, membre des Black Panthers, qui lui ouvre les yeux sur le problème des droits civiques. A son retour, il tente d’intégrer le plus possible la « conscience noire » dans sa musique et de l’adapter aux oreilles africaines. Ses morceaux deviennent de plus en plus longs, et de plus en plus critiques.

Kalakuta Republic

Dans les années 1970, Kuti transforme sa maison de Lagos en une communauté, rassemblant famille, amis, membres de son groupe musical, des compagnes de plus en plus nombreuses, et un entourage de plus en plus large. Son studio d’enregistrement est juste en face, ainsi qu’une salle de concerts, the Shrine. Il fonde également une clinique gratuite dirigée par son frère médecin. En avril 1974, il est arrêté pour possession de cannabis. À partir de ce moment, il s’isole de plus en plus dans cette forteresse qu’il nommera « Kalakuta Republic » et qu’il déclare indépendante, en réaction au gouvernement militaire qu’il déteste à cause de sa corruption. Il crée ainsi une république dans une république, provoquant les foudres des autorités. Le pays est alors extrêmement riche grâce à un boom pétrolier, mais la fracture sociale est grandissante suite à un exode rural massif, et la situation politique est très instable.

« Zombie »

Kuti s’autoproclame « Président noir » et organise début 1977 un festival de musique gratuit dans son « Shrine », s’opposant à un événement (le FESTAC ou Festival des arts nègres) organisé par le président de l’époque, Olusegun Obasanjo, qui souhaitait réaffirmer la place du Nigéria dans le monde culturel africain. Des musiciens comme Stevie Wonder et Archie Shepp ont rejoint Fela Kuti, bravant l’avis négatif du gouvernement américain. À cette époque, Kuti décide également de se porter candidat aux élections qui se tiendraient trois ans plus tard.

Et il compose « Zombie ». Il compare dans son texte les soldats à des morts-vivants, car ils obéissent aveuglément, sans se poser de questions, comme des morts-vivants. Il dénonce également la corruption de l’état-major. La popularité de cette chanson est une provocation pour les autorités et le président Obasanjo est furieux.

Zombie

Zombie o, zombie (Zombie o, zombie)
Zombie o, zombie (Zombie o, zombie)

Zombie no go go, unless you tell am to go (Zombie)
Zombie no go stop, unless you tell am to stop (Zombie)
Zombie no go turn, unless you tell am to turn (Zombie)
Zombie no go think, unless you tell am to think (Zombie)

Zombie o, zombie (Zombie o, zombie)
Zombie o, zombie (Zombie o, zombie)

Zombie no go go, unless you tell am to go (Zombie)
Zombie no go stop, unless you tell am to stop (Zombie)
Zombie no go turn, unless you tell am to turn (Zombie)
Zombie no go think, unless you tell am to think (Zombie)

Zombie o, zombie (Zombie o, zombie)
Zombie o, zombie (Zombie o, zombie)

Tell them to go straight
A joro, jara, joro
No break, no job, no sense
A joro, jara, joro
Tell them to go kill
A joro, jara, joro
No break, no job, no sense
A joro, jara, joro
Tell them to go quench
A joro, jara, joro
No break, no job, no sense
A joro, jara, joro

Go and kill! (Joro, jaro, joro)
Go and die! (Joro, jaro, joro)
Go and quench! (Joro, jaro, joro)
Put am for reverse! (Joro, jaro, joro)

Go and quench! (Joro, jaro, joro)
Go and kill! (Joro, jaro, joro)
Go and die! (Joro, jaro, joro)
Put am for reverse! (Joro, jaro, joro)

Go and die! (Joro, jaro, joro)
Go and quench! (Joro, jaro, joro)
Go and kill! (Joro, jaro, joro)
Put am for reverse! (Joro, jaro, joro)

Joro, jara, joro, zombie wey na one way
Joro, jara, joro, zombie wey na one way
Joro, jara, joro, zombie wey na one way

Joro, jara, joro

[Outro]
Attention! (Zombie)
Quick march!
Slow march! (Zombie)
Left turn!
Right turn! (Zombie)
About turn!
Double up! (Zombie)
Salute!
Open your hat! (Zombie)
Stand at ease!
Fall in! (Zombie)
Fall out!
Fall down! (Zombie)
Get ready!
{2x}

Halt!

[Outro]

Order!

[Outro]

Order!

One more time everyone

[Outro]

Order!

Dismiss!

Zombie! (Repeat)

Le 18 février 1977

Non loin de Kalakuta se trouvaient des baraquements de militaires. Le 12 février, un groupe de résidents proches de Fela Kuti a une altercation avec les soldats. Six jours plus tard, le 18 février 1977, un ou deux jeunes garçons de l’entourage de l’artiste (les versions divergent sur les noms des protagonistes) sont arrêtés suite à une infraction routière et ont une vive discussion avec un officier de la police militaire. Ils réussissent à rentrer à la forteresse mais ils sont poursuivis par un groupe de militaires qui veulent arrêter les garçons. Fela refuse l’accès aux soldats, disant qu’ils peuvent revenir avec « des bazookas, des fusils et des bombes ». Ce qu’ils ont fait.

Les militaires ont appelé des renforts et sont rejoints par un millier de soldats. La troupe lourdement armée de mitraillettes et de mortiers encercle Kalakuta, ordonnant l’évacuation du quartier. Après cela, les choses s'accélèrent : les militaires mettent le feu aux voitures et au générateur qui produisait l’électricité, puis, coupant les fils barbelés, ils s'introduisent dans l’enceinte. La violence est extrême : beaucoup de femmes sont violées, les testicules de certains hommes sont fracassés, le frère de Fela, Beko, est tabassé à tel point qu’il doit rester en chaise roulante des mois après les événements. Sa mère, âgée de 78 ans, est défenestrée et mourra après plusieurs semaines de coma. L’artiste lui-même est rudoyé. Après deux heures d’une inouïe violence, les soldats incendient la maison, la clinique et le studio d’enregistrement, attaquant également les pompiers et les journalistes qui étaient accourus. Ils pillent ensuite le quartier environnant. Les soixante résidents de Kalakuta se retrouvent soit en prison soit à l’hôpital.

Il n’existe aucune preuve que le gouvernement ait ordonné cette attaque, mais il a été très rapide à classer l’affaire.

« Unknown Soldier »

Fela Kuti sort complètement démoralisé de l’affaire : la salle de concert the Shrine est fermée et personne d’autre n’ose encore faire jouer le groupe. À l’automne, il s’exile au Ghana. De plus, malgré un procès contre l’État magistralement mené par son avocat, il perd l’affaire parce que les militaires qui ont assiégé la république de Kalakuta sont considérés comme des « soldats inconnus ». La destruction de sa forteresse lui inspirera plusieurs chansons et, en 1979, il compose « Unknown Soldier » dans laquelle il décrit minutieusement l’attaque sur un fond musical incendiaire.

Unknown Soldier

Make you no go anywhere
Just wait make I tell you something
Fela, you don come again!
I never come again
I still live dey faraway
Make you wait till I reach where I dey go
Where you dey go?
Make I reach
Where you dey go?
Make I reach
Where you dey go?
Make I reach
Where you dey go?
Make I reach
Where you dey go?
Make I reach
Where you dey go?
Don't ask me
Where you dey go?
Wait and see
Where you dey go?
Make I reach
Where you dey go?
Don't ask me
Where you dey go?
Wait and see

I say, I say, I say...

This thing wey happen
Happen for my country
Na big big thing
First time in the whole world
If you hear the name, you go know
Government magic
Tell me the name now

[Chorus]
Government magic!

Them go dabaru everything
Them go turn green into white
Them go turn red into blue
Water dey go, water dey come
Water dey go, water dey come
Them go turn electric to candle
Them go turn electric to candle
Government magic
Government magic

I see dey come
Small, small

Look o, look o

[Chorus]
Left, right, left, right, left, right, left!

One thousand soldiers them dey come
People dey wonder, dey wonder, dey wonder
One more time: people dey wonder, dey wonder, dey wonder

Stevie Wonder dey there too
Na one week after FESTAC too
And dey broadcast on American satellite
Around that time too now, I say to you

Where these one thousand soldiers them dey go?
Look o
Na Fela house Kalakuta
Them don reach the place, them dey wait
Them dey wait for...

[Chorus]
Order!

Now listen

[Chorus]
Left, right, left, right, left, right, left!

Them surround the place, kwam kwam kwam, them dey wait
Wait them helmet and them guns
And them petrol and them matches
Then again...

[Chorus]
Stand at ease!

Fela dey for house
Beko dey there too
Them mama dey there too
Beautiful people dey there too
Frenchman dey there too
Press man dey there too
One-fifty of us dey there too

Then suddenly, suddenly, suddenly, suddenly...

[Chorus]
Jaba, jaba...
Jubu, jubu...
Jebe, jebe...
Jawa, jawa...

Them dey break, yes
Them dey steal, yes
Them dey loot, yes
Them dey fuck some of the women by force, yes
Them dey rape, yes
Them dey burn, yes
Them dey burn, yes
Them dey burn, yes
Them commot one student's eye, yes
Them break some some head
Them break some some head

Them throw my mama
Seventy-eight-year-old mama

Political mama
Ideological mama
Influential mama...

Them throw my mama out from window
Them kill my mama
Them kill my mama
Them kill my mama
Them kill my mama
Them kill my mama

Them carry everybody
Them carry everybody go inside jail

[Chorus]
Fall out!

Everybody dey inside jail
We dey wait twenty-seven days
Them lock us
Press dey shout
Radio dey ring
People dey talk
Them go burn Fela house

Wettin this Fela do?
This government e bad o
Wetin this Fela do?
Fela talk about soldiers
Flogging civilians for streets
Fela talk about government
Wasting money for FESTAC
Wetin this Fela do?
This government e bad o
People start to talk o
Government start to shake o

Then suddenly, suddenly, suddenly, suddenly...

Government bring instruments of magic
Them bring inquiry
Them bring two men
One soldier, one Justice
The name of Justice: Mr. Justice Agwu Anya
The other Justice: Mr. Justice Dosunmu

Them start magic
Them seize my house wey them don burn
Them seize my land
Them drive all the people wey live in area
Two thousand citizens
Them make them all homeless now
Them start magic
Them start magic

Them bring flame, them bring hat
Them conjure, them bring rabbit
Them bring egg, them bring smoke
Them dey scream, them dey fall
Them conjure, spirit catch them
Them dey fall, them dey scream
Them dey shout
Them dey, them dey say

[Chorus]
Unknown soldier!

Na him do am

Government magic
I get some information for you
I get some information for you
That my mama wey you kill
She fought for universal adult suffrage
That my mama wey you kill
She fought for universal adult suffrage
That my mama wey you kill
She is the only mother of this country
That my mama wey you kill
She is the only mother of Nigeria

Which kind injustice is this?
Wetin concern government inside?
If na unknown soldier
I said, wetin concern government inside?
If na unknown soldier
We get unknown police
We get unknown soldier
We get unknown civilian
All is equal to unknown government

We get unknown police
Them go kill nine students
We get unknown civilian
Them go kill two soldiers
We get unknown soldier
I say unknown police
And then unknown soldier
And then unknown civilian
All is equal to unknown government

Them turn green into red
Them turn blue into white
Them turn green into blue

I'm finished, mother


Texte : Anne-Sophie De Sutter

Crédits photos :

À gauche, l’attaque de la République de Kalakuta, crédits inconnus

À droite, pochette du disque Zombie

Classé dans