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Critique

DOROTHY

publié le

Alors qu'elle se remet à peine de la mort de son jeune fils, la psychiatre Jane Morton (l'actrice hollandaise Carice Van Houten) choisit d'être envoyée dans une petite île perdue au large de l'Irlande où un cas d'infanticide a été commis. Dorothy […]

 

 

 

Alors qu'elle se remet à peine de la mort de son jeune fils, la psychiatre Jane Morton (l'actrice hollandaise Carice Van Houten) choisit d'être envoyée dans une petite île perdue au large de l'Irlande où un cas d'infanticide a été commis. Dorothy Mills, une (pré) adolescente est accusée de tentative de meurtre sur un bébé dont elle assurait le baby-sitting. A la suite d'un bien étrange accident de la route, la jeune femme se voit privée de véhicule et se retrouve en butte à l'hostilité déclarée d'une communauté totalement repliée sur elle-même, soudée par-delà les conflits dans le silence de lourds secrets inviolés et placée sous la mainmise d'un prédicateur omniprésent (ses fonctions dépassent allègrement ses prérogatives de pasteur). À l'auberge où elle réside et où se livrent parfois d'antiques rituels sanglants, on ne lui sert que des mets qui ont une apparence blanchâtre, certaines nuits, elle semble seule à entendre d'évanescents riffs de guitares sortant de nulle part et tous feignent (?) d'ignorer le harcèlement dont elle est victime de la part de quelques jeunes qui paraissent n'avoir d'existence propre qu'à ses yeux. A mesure de son enquête, elle passe, aux yeux de la populace locale, du statut d'élément perturbateur extérieur à celui de bouc émissaire a mesure que des phénomènes d’une extrême violence se déchaînent un peu partout (massacre de moutons...). Mais, tant par obstination professionnelle que parce que la jeune fille lui inspire une inexplicable sympathie mêlée d’une certaine affection, la thérapeute, bien que s’exposant consciemment et volontairement à une forme d’auto exorcisme et à ses imprévisibles conséquences (sauver Dorothy pour en finir avec la culpabilité qui la ronge depuis la disparition de son enfant), s’accroche malgré tout à ce cas avéré et peu banal de trouble de personnalité multiple. Mais esseulée au bout du monde et privée de presque toute assistance (sauf celle, timide, de l’agent de police local et d’une vieille dame aveugle qui n‘est peut être pas ce qu’elle prétend être), la psychiatre trouvera-t-elle la force nécessaire d’aller au bout de sa démarche sans y laisser la raison, ou pire, sa peau?

Le troisième long métrage d’Agnès Merlet (Le Fils du Requin, Artemisia) tourné en anglais et avec un casting presque entièrement britannique, rôle principal excepté, s’aventure sur un terrain toujours aussi peu praticable et pratiqué par les cinéastes de l’hexagone, celui du cinéma fantastique. D’ailleurs Dorothy, s’il fallait absolument le rattacher à un genre particulier, se trouverait en porte-à-faux entre le drame psychologique sur le versant thriller, l’exercice de style surnaturel (la quête de l’événement traumatique, source de tous les maux, et son impossible réparation sans funestes conséquences), et d’une certaine manière, un double portrait de femmes. Carice Van Houten (Jane Morton) est éblouissante de justesse (jeu on ne peut plus intériorisé mais dense), à la fois fragile, tourmentée et sensible, mais faisant preuve d’un courage admirable et d’une ténacité de fer d’autant qu’elle s’engage sans filet sur une corde impitoyablement raide, sans espoir de retour en arrière. Face à elle, Jenn Murray demeure jusqu’au bout empreinte de mystère et d’étrangeté, glissant naturellement d’une personnalité à une autre, de l’innocente petite fille à la brute la plus abjecte, sans que son aspect extérieur d’ado lunaire presque albinos et au regard pénétrant ne s’en trouve bouleversé ou que ces transferts ne la fasse, basculer dans l’altérité radicale où l’autre n’est plus qu’un « monstre ». Trop commode.

Mais la bonne tenue de son duo de rôles principaux féminins met également en lumière la faiblesse des personnages secondaires qui ont bien du mal à s’élever au-dessus de la mêlée des archétypes locaux qu’ils incarnent avec trop de servilité et un manque criant d’imagination. Les insulaires sont rustres, bornés et fiers de l’être et seul le pasteur surprend en sortant (un peu) des lignes de marquage où sa fonction, son statut et les coutumes locales l’ont à priori cantonné.

De même, si dans Dorothy Merlet sacrifie l’action au profit d’une trame anxiogène qui s’échafaude petit à petit et par plusieurs bouts à la fois (les indices utiles à la résolution de l’intrigue sont finement instillés, les différentes temporalités se superposent sans créer d’intrusifs effets de brouillage, scoop final bien négocié), et s’attache à faire ressortir la dramaturgie de son cinéma du jeu de ses acteurs et par son dispositif filmique classique (mise en scène sobre et économie de moyens) plutôt qu’à booster artificiellement son film par d’envahissants effets spéciaux, il n’échappe au chassé-croisé des références cinématographiques qui ici se bousculent littéralement au portillon !

La pâleur argentée de Dorothy renvoie immanquablement à l’aura maléfique des enfants maudits du Village des damnés (préférez l’original de 1960 au remake raté de 1995), La sortie de route qui marque l’arrivée de la thérapeute dans l’île est calquée sur celle du mythique Carnival of Souls (Herk Harvey, 1960). Tandis que le cortège des spectres (ils n’apparaissent qu’à une ou deux personnes) et âmes en déshérence, annonçant le lent basculement d’un point de vue fragmentaire (subjectif) et trouble (qui pose problème) sur le réel, vers l’impitoyable révélation d’une réalité « objective » à laquelle le ou les protagonistes n’appartien(nen)t désormais plus, a servi de « pitch » à bien des productions de ces dernières années. Et après les réussites des Sixième Sens (celui de Night Shyamalan en 1999), Les Autres (2001, Amenábar) et sans oublier le séminal Ne vous retournez pas (Nicolas Roeg, 1974), Dorothy se pose un peu là comme une relecture, certes sensible mais sur un mode mineur et tardif, d’un sous-genre fantastique (le film de fantôme névrosé ?) que l’adjonction d’un zeste de faute collective (un soupçon du It de Stephen King ?) sur fond de micro société bigote coupée du reste du monde, n’arrive pas à entraîner plus loin que celui du bel exercice de genre.

Déjà pas si mal.

YH

 

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