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Focus

Zerfall, un projet de théâtre sous les voies de chemin de fer

Recyclart - Zerfall - 4.48 Psychose - photo de Jean-François Castel
Via la mise à disposition temporaire de petits locaux et d'ateliers pour des projets artistiques en recherche, Recyclart a aussi permis à l'aube des années 2000 à un singulier projet de théâtre (ouvert à la musique et au cinéma expérimentaux) de trouver un espace où oser en toute liberté. Retour avec Clément Laloy sur une culture qui commencerait par la lettre "Z" !

Zerfall commence par le "Z" qui termine "Verzuz", un atelier que tenaient Laurent Cartuyveels et Bram Borloo juste avant nous dans un autre local de Recyclart. En fait, c'est grâce à eux que j'ai eu l'idée de l'atelier.

Il y a une culture free flamande qui n'existait (n'existe) pas, ou à peine, dans le monde francophone. La démarche de Laurent m'a fait un effet très important. Je me souviens de concerts absolument incroyables à Verzuz où il n'y avait personne pour écouter le concert, Tout le monde était dehors buvait des chopes qui sortaient d'un casier et fumait des clopes ou des joints. Laurent se plaignait à chaque concert que le son allait trop fort. C'était de le pure énergie. Rien, absolument rien, de construit. Le pur plaisir de faire du son. De la noise sombre et foutraque mais si émouvante, de la pure poésie de gamins mal élevés. Le son mêlé à une recherche plastique : les flyers cabossés et les montages fragiles de Bram étaient en accord complet avec le bordel agissant de l'atelier.

Je dois dire que c'est grâce à Xavier Garcia Bardón, à Christophe Piette et à Benjamin Francart que j'ai découvert ce monde-là. Ces trois amis m'ont accompagné de près. Ça m'a donné l'idée de mêler le théâtre à tout ça, de le sortir de la joliesse et de sa gentillesse. J'avais vu une mise en scène anarchique d'une pièce d'Elfriede Jelinek au Palais des Beaux Arts, et la liberté de la mise en scène tranchait avec ce que j'avais l'habitude de voir au Rideau de Bruxelles.

Recyclart - Zerfall - 4.48 Psychose - flyer« Zerfall » est un mot allemand qui veut dire « chose qui tombe » ou « chose tombante », quelque chose comme ça. Il y a l'idée de chute, de ratage, d'anarchie, c'est le sous-titre d'un livre de Thomas Bernhard, Extinction; un effondrement. Thomas Bernhard aussi m'a servi de guide pour cette aventure. Zerfall a duré six mois, de janvier à juin-juillet 2003. J'y ai mis en scène trois pièces : une pièce en trois parties de Beckett (avec Jean-Luc Thayse, Melina Perelman et Giuseppe Zammataro); Trois histoires d'amour (que j'avais écrite) (avec Mathilde Schennen, Alice De Visscher, Alice Romainville, Giuseppe Zammataro, Juliàn Perelman et Philippe Rouard; musique de Champignon, alias Emmanuel Gonay); 4.48 Psychose de Sarah Kane (avec Noémie Thiberghien et Jacques Gigi; scénographie de Jean-François Castel et Nicolas Vandenschrick; musique en live de Benjamin Franklin (émouvante et violente guitare électrique).

Je pense que les trois pièces ont laissé de bons souvenirs. L'expérience de Beckett a été particulièrement marquante puisqu'un des comédiens, Giuseppe Zammataro, ne voulait plus de texte et a proposé, en contre-partie de la pièce, la simple exposition de son corps. Le public a réagi de manière hystérique. Il sortait, revenait, m'engueulait, engueulait Giuseppe.... On lui a même jeté un programme, alors qu'il ne disait rien, ne faisait rien. D'autres criaient au génie... Giuseppe, lui, trouvait que j'interrompais le spectacle trop vite, en allumant la lumière. Il aurait voulu que ça aille encore plus loin.... Giuseppe avait alors l'idée d'un théâtre hyper-minimaliste, disparaissant lui-même.
Pour la pièce suivante, Giuseppe aurait voulu un flyer qui propose simplement un lieu et une heure, mais où il n'y aurait absolument rien de prévu. Je lui ai dit, pourquoi faire un flyer alors? Il m'a répondu, tu as raison, le flyer est déjà de trop. Ce fut notre dernière collaboration. — Clément Laloy

Recyclart - Zerfall - concert de ROT et Buffle - flyerPour 4.48, Jean-François avait fait un film super 8, fait de taches et de chiffres. Mais le film s'est détruit à mesure qu'on l'essayait en répétition. Je crois qu'à la fin des représentations, il n'en restait rien, c'est dommage.... Il n'avait rien à envier aux plus grands cinéastes expérimentaux. Il y avait des chiffres et des taches qui défilaient de façon hachée, rythmée. Il y a aussi eu des concerts : Martiensgohome (rebaptisé, si ma mémoire est bonne, "Martensbuiten"), Plochingen, Albano, The Photograph, R.U.F.F.L.E. (R.O.T. + Buffle), un jeune artiste norvégien a aussi utilisé l'atelier pour une performance. Il y a aussi eu Placard, organisé avec Philippe Delvosalle et Stefaan Quix. Il y a eu des expositions de Thierry Mortiaux et de Nam Simonis (un superbe parchemin retraçant son parcours d'enfant adopté).

Quand je pense à Zerfall, je n'ai que de bons souvenirs. C'était un tournant dans ma vie. Je renonçais à une culture proprette pour laquelle j'étais payé comme animateur socio-culturel sur le site de Louvain-en-Woluwe. Je sortais aussi d'une maladie qui m'a fait comprendre que je ne pouvais pas continuer dans l'asphyxiante culture dont parle Antonin Artaud, culture bourgeoise, conservatrice, emmerdante, que je devais affirmer quelque chose, que l'art passe aussi par une forme de destruction. Peter Handke dit très clairement qu'il y a une certaine culture qu'il faut détruire. "Zerfall" est aussi lié à mon histoire d'amour avec Alice. Je découvrais avec elle l'art et la sexualité.


Clément Laloy, mars 2018

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