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Focus

Six Feet Under : Claire à l'école

Six Feet Under - S02E11 prospectus LAC-Arts (c) HBO
Plus intéressante, plus évasive, plus fragile et plus subtile que le récit ultérieur des études supérieures artistiques de Claire – la cadette de la famille Fisher – au cours des saisons 3 et 4 de la série, est l’évocation en pointillés, à la fin de la saison 2, de ses choix de vie et d’études.

En accompagnant, pendant plus de 60 épisodes, le parcours des Fisher, une famille de Los Angeles gérant une entreprise de pompes funèbres, la série d’Alan Ball pour la chaîne de télévision HBO touche à la vie – et nous touche, nous, spectateurs en nous montrant leurs vies, à eux, personnages – avec une intensité peut-être directement liée à la manière dont quotidiennement Nate, David et leur employé Rico touchent – au sens le plus littéral, dans la précision des gestes du métier : embaumement, reconstruction faciale, etc. – à la mort.

Ce bout d’itinéraire de vie est le plus touchant pour Claire Fisher, seule fille et petite dernière des enfants de la famille, parce que, passant de l’adolescence à l’âge adulte, son personnage se cherche, se forme et se déforme, avance et trébuche.


Prospectus et prospectives

Plus que le récit détaillé des études de Claire dans son école supérieure artistique (LAC-Arts, école fictive… derrière laquelle on croit reconnaître CalArts, l’école californienne bien réelle), compte-rendu un peu caricatural – notamment dans sa construction de personnages de professeurs un peu trop monolithiquement malsains, gourous manipulateurs et superficiels –, l’évocation délicate à la fin de la saison 2 du choix de ce parcours par la jeune fille est beaucoup plus intéressant.  

Mal à l’aise dans son école secondaire, trop bizarre, trop entière et trop exigeante avec elle-même pour accepter les petites compromissions d’une vie sage et rangée, Claire est perdue, se cherche. Dans un système éducatif nord-américain encore plus cloisonné que le nôtre (très hiérarchisé, cher, faisant de manière très explicite la distinction entre bonnes universités – très compliquées à rejoindre – et moins bonnes – un rien plus accessibles) Claire ne sait plus trop à quel Saint se vouer… C’est dans ce contexte de doute et de résignation que va apparaître un élément de prime abord discret qui, dans ses réapparitions et sa répétition, en sorte de petits caillous du Petit Poucet, va baliser le chemin de Claire dans une autre direction, vers un autre futur, une autre perspective : le prospectus de LAC-Arts.

Claire est le genre de personnes qui a besoin que sa vie ait un sens. Vous le savez mieux que moi. (…) Voulez-vous savoir quoi faire pour soutenir Claire ? Voici une brochure de LAC-Arts. C’est une bonne école. Je crois que Claire devrait songer à y aller.  C’est une bonne école pour quelqu’un d’aussi créatif. — Le 'Guidance counsellor' Gary Deitman à Ruth Fisher

Le prospectus apparaît une première fois dans le bureau du conseiller scolaire que Ruth Fisher, la mère de Claire est venue consulter parce qu’elle croit sa fille déprimée. Gary Deitman le fait sortir du tiroir de son bureau – et le fait apparâitre dans le cadre de la caméra et dans le fil de la narration – comme un magicien sortirait un objet étonnant de son chapeau. Il le tend à Ruth.

La petite publication en quatre volets réapparait plus tard, à la fin de ce même épisode 11 de la saison 2, ramené entre temps dans l’espace privé de la maison. Lors d’une discussion un peu tendue entre Claire et sa mère (la seconde porte un pantalon-patchwork, baba cool néo-tribal à grelots, que la première lui a cousu en étant dans un état second, sous l’emprise de la drogue, et qu’elle n’assume plus une fois sortie de ce trip), Ruth – énervée par le fait que sa fille gâche son potentiel créatif – jette le dépliant sur la table de la cuisine et quitte la pièce. Claire s’en empare et le parcourt des yeux une première fois.

Tu as vu, Cindy Sherman a été dans cette école. — Claire Fisher à sa mère

Le prospectus réapparaît une troisième fois au début de l’épisode 13 de la saison 3 sur le porche de la maison familiale (et, donc, de l’entreprise de pompes funèbres). Claire le lit, y consacre du temps, de l’attention. Une idée commence à faire son chemin. Sa mère en vêtements de jardinage approche et d’une manière un peu rigide (« Je voudrais dire officiellement que je soutiens ta décision de faire les Beaux-Arts ») l’encourage à suivre un parcours artistique. Claire tempère vertement des ardeurs encore prématurées (« Je vais juste aller voir. Ne mouillons pas nos culottes pour si peu ») et les deux femmes, mère et fille, se retrouvent à parler du fait que Ruth n’ait – de manière subie ou choisie – pas fait d’études supérieures. Une certaine complicité prend la place de la tension.


The island of misfit toys of colleges

Laisse-moi deviner. Tu étais l’exclue un peu bizarre de ton lycée ? (…) Nous le sommes tous ici. Tous les dingues de tous les lycées de Californie atterrissent ici. C’est un peu l’Île des inadaptés du secondaire. — Henry, guide de Claire à LAC-Arts

La visite de l’école par Claire est filmée comme un long plan séquence en travelling de deux minutes (nous ne sommes ni chez Friedrich Murnau, ni chez Orson Welles, ni chez Bela Tarr mais au sein d’une série télévisée américaine du début des années 2000 cette durée interpelle) au milieu d’une quarantaine de figurantes et de figurants. On peut aussi lire, à l’image, dans le cadre, ce travelling comme un prospectus puisqu’y défilent différentes techniques et matières enseignées dans l’école : gravure, soudure (« - On peut faire de la soudure ? – Non, tu dois en faire, c’est une matière obligatoire ! »), dessin au fusain, etc. Au son, dans la discussion entre Claire et son guide Henry, sont évoquées à la fois les exigences (dossier de candidature, book, lettres de recommandation) pour intégrer une école elle-aussi très demandée et – non sans humour un peu moqueur – les productions artistiques un peu maladroites des étudiants et étudiantes de première année qui sont exposées dans l’espace qu’ils parcourent.

Un deuxième corbillard déclassé comme promesse d’une nouvelle complicité

Dans la séquence suivante, Claire sort toute souriante de LAC-Arts où elle vient de mettre les pieds pour la première fois et sur le parking de l’école se retrouve face à un autre corbillard déclassé garé à côté du sien. La séquence fait directement écho à celle dans l’épisode 3 de la saison 1 où elle avait retrouvé son véhicule peinturluré de slogans moqueurs (« Foot slut », « Toe sucker », etc.) suite aux indiscrétions d’un petit ami par rapport aux détails de leurs ébats sexuels.

À son lycée engoncé dans le respect d’une norme fort rigide succède la promesse d’une nouvelle école plus ouverte à l’originalité, à la singularité, aux personnalités décalées… et aux conductrices de corbillards déclassés.


Philippe Delvosalle

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