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Focus

Les séries ont le sens de la formule

tendances séries

série télévisée, formula show, feuilletons

publié le

Des feuilletons littéraires aux séries télévisées, la forme sérielle cultive la nécessité de captiver en permanence son public au risque de ne pouvoir mener à bien ses ambitions. Cette fidélisation fondamentale repose sur deux principes aussi antagonistes que complémentaires: répétition et nouveauté.

Sommaire

Dans le récit feuilletonesque, qui s’appuie sur une certaine linéarité narrative, l’apport d’éléments neufs est nécessaire au bon déroulement de l’histoire et garantit au spectateur un renouvellement constant. A contrario, les séries du type formula show où chaque épisode (on pourrait même dire ici « chaque occurrence ») est construit sur un même canevas immuable jouant sur la répétition systématique d’éléments connus, amenant chaque semaine le spectateur en terrain connu, balisé. Ces notions de nouveauté et de répétition, bien qu’indissociables de ces formes spécifiques de récit, n’ont cessé de se rapprocher, de se compléter mutuellement.

 
À l’aube de l’ère des séries télévisées, dans les années 1950, feuilletons et formula shows se côtoyaient sagement sans mordre sur leurs territoires respectifs. Ainsi les soap operas offraient aux ménagères des récits interminables autant qu’invraisemblables, alors que les formula shows programmés en début de soirée donnaient l’occasion à la famille de se réunir autour d’un programme commun. Mais le visage télévisuel, tout comme la société qui l’emploie, a bien évolué depuis lors. Les programmes se sont multipliés à la fin des années 1960 et les publics qui ont grandi avec les séries sont devenus bien plus exigeants. L’apparition de la télécommande et du zapping a offert aux spectateurs encore plus de liberté dans leurs choix. Devant ce constat, et au risque de perdre une audience synonyme de juteux bénéfices publicitaires, les programmateurs ont dû revoir leur formule. Au début des années 1980, la série Hill Street Blues (Capitaine Furillo en français) introduit la notion d’arc narratif; les créateurs développent une histoire sur plusieurs épisodes voire sur plusieurs saisons. Ce modèle reste cependant minoritaire et c’est surtout durant les décennies suivantes que, petit à petit, les formula shows vont généraliser cette pratique. La montée en puissance des chaînes payantes (HBO, Showtime,…) dans les années 1990 et leurs programmes de qualité souvent supérieure vont accélérer le processus de mutation des procédés narratifs. Si des séries telles que X-Files ou Le Caméléon présentent effectivement des épisodes aux histoires bien distinctes, elles proposent également une intrigue qui traverse l’entièreté de la série.


De nos jours, ce type d’écriture est omniprésent et structure un large éventail de ce qui parvient sur nos écrans de télévision. En dépassant l’unité narrative de l’épisode et en offrant à leurs personnages des aventures suivies, les séries gagnent en réalisme absent des productions des décennies antérieures. Plus travaillés psychologiquement, possédant dorénavant un passé et un avenir, ces nouveaux héros télévisuels suscitent davantage d’empathie de la part des spectateurs. Il arrive que les arcs narratifs se superposent, se côtoient pour former un enchevêtrement de récits qui étoffent souvent la vacuité des trames des épisodes. Ainsi dans la série Bones par exemple, outre l’enquête proposée comme élément central de l’intrigue, le spectateur pourra assister aux débats d’Angela et Jack Hodgins sur leur mariage, à ceux de de Temperance « Bones » Brennan et Seeley Booth sur des questions sociétales, tout en suivant le développement d’épisode en épisode de l’enquête centrale de la saison. Ce principe permet aussi aux scénaristes de remplir les 42 minutes effectives que dure un épisode de formula show. Il faut cependant noter différentes catégories de formula shows; si la plupart suivent effectivement la logique que proposent des séries telles que Bones, Castle ou les inusables Experts, d’autres comme Fringe ou son grand frère X-Files voient leur statut de formula show pur et dur évoluer vers le feuilleton dès lors que ce fameux arc narratif s’impose à la quasi-totalité des épisodes.


Si l’on ne peut nier la démarche commerciale de cette hybridation narrative, elle révèle néanmoins des soucis artistiques évidents. Dans le feuilleton sériel Breaking Bad, bon nombre d’épisodes voient les personnages confrontés à des soucis du quotidien et se focalisent uniquement sur ces « banalités » sans s’intéresser au récit principal (l’épisode Fly en est un magnifique exemple). Ces digressions narratives, sous des dehors anecdotiques, sont souvent l’occasion d’une réflexion plus posée sur les choix et les actions d’un protagoniste tout en ménageant à l’intrigue des respirations nécessaires.  


Feuilletons et formula shows empruntent donc chacun des directions contraires à celles inhérentes à leur structure initiale et donnent naissance à des produits neufs, capables par leur forme narrative intermédiaire de séduire des segments d'audience plus larges. Si les schémas narratifs mutent, il en est de même pour les genres et les tonalités. Volonté affirmée de réalisme ou velléité commerciale nécessaire, les créateurs se contentent rarement de nos jours de proposer des séries dramatiques, policières ou médicales; ils n'hésitent pas à alterner au sein même d'une saison, voire d'un épisode, les tonalités et autres orientations de genre. Bien que ce ne soit pas systématique, ces alternances sont généralement dues aux intrigues développées dans ces fameux arcs narratifs. Le cas du Docteur House synthétise assez bien ces variations tonale s: tour à tour dépressif, cabotin ou en quête de vérité, le praticien le plus célèbre du petit écran explore à lui seul un très large panel émotif qui ne saurait que séduire le public. Ces variations tonales trouvent ici leur justification dans le passé du médecin et dans les relations, malheureuses ou pas, qu’il développe tout au long des saisons. De telles nuances étaient inconcevables dans une série comme Columbo où chaque occurrence semble intemporelle, sans liens avec la précédente. L’absence de récit périphérique (Qui est l’inspecteur ? Quelles sont ses motivations ?) limitait dès lors chaque épisode à sa propre unité et à un ton unique, récurrent.


Même si l’on ne peut nier le potentiel économique énorme que représente le marché des séries télévisées, celui-ci s’appuie sur un système fragile autant que balisé. La publicité, première source de revenus pour les chaînes, représente environ un quart du temps d’antenne sur une heure de diffusion d’une série (ce modèle est applicable aux séries des networks, pas des chaînes payantes où la publicité pendant les programmes n’a pas cours). L’influence des annonceurs sur les programmes diffusés est donc considérable. De contraintes en obligations formelles, les créateurs n’ont qu’une marge de manœuvre restreinte. Cette forme de précarité les oblige dès lors à se réapproprier les structures narratives préexistantes pour en créer de nouvelles, hybrides et déclinables sur bien des modes.








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