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Focus

Rencontre en images avec Jehanne Paternostre

Sans épitaphes

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publié le par Alicia Hernandez-Dispaux

Jehanne Paternostre expose "Sans épitaphes", une réflexion sur les constructions de la mémoire à travers l'exploration de différentes techniques et matériaux. Les œuvres interagissent et se renforcent l'une l'autre favorisant ainsi la transmission d'un message puissant.

Originaire de Fayt-lez-Manage, Jehanne Paternostre évolue en tant qu’artiste plasticienne depuis quelques années. Elle est sortie depuis peu de l’Académie royale des Beaux-Arts de Bruxelles et son travail a d'ores et déjà remporté un vif intérêt de la part du milieu artistique belge. PointCulture s’est rendu à Champion dans la galerie Short Cuts pour y découvrir sa production artistique la plus récente.

Rencontre en images avec une artiste sensible, dont le regard critique et subtil interroge nos constructions de la mémoire, qu’elle soit individuelle ou collective.

Image 1. Le soldat


C’est probablement le premier élément par lequel le regard est attiré une fois passé la porte de l’espace d’exposition. Un petit tas de cartes sur lequel est imprimé le même portrait à l’infini. C’est un soldat en uniforme, le seul visage de l’exposition.

En haut à droite de l’image, l’œuvre que l’on devine est une plaque de verre sur laquelle a été gravée le plan du fort où le jeune homme a laissé sa vie au début de la Première Guerre Mondiale.

Images 2. "Souvie..."


Un bout de tissu sur lequel a été brodé le fragment de mot « souvie... » est suspendu à un fil transparent. Il flotte comme la pensée. À la fois solide et tramé, il suffit d’un accroc et le voilà difforme. N’est-ce pas le propre de nos souvenirs, impérissables mais tellement évanescents ?

Le morceau de tissu n'a pas été choisi au hasard, c'est celui que l’on utilise pour panser les blessures, pas n'importe lesquelles puisque c'est bien la mémoire que l’artiste entend soigner à travers son travail.

À droite, c’est le plan du cimetière militaire dans lequel est enterré le soldat. Il arbore curieusement la forme d’une maison. Jehanne Paternostre l’a dessiné à la manière d’un plan archéologique, une manière de souligner la fragilité de ce lieu érigé au nom de la collectivité qui menace de s’effriter avec le temps.

La mémoire se constitue aussi par rapport à la coupure, par rapport à un défaut ou à un désajustement qu’il soit positif ou négatif, heureux ou malheureux. — Jehanne Paternostre

Image 3.  La patrie


Le monument représenté ici au crayon et à l’aquarelle est celui qui trône dans le cimetière militaire de Marchovelette. Comme en écho au portrait du soldat (par sa forme ovale et ses tonalités), Jehanne Paternostre dresse le portrait de la patrie.

Au niveau du socle, deux soldats courbés portent leur nation péniblement. Leurs visages ont été effacé par la plasticienne, comme pour signifier que l’État a englouti leur individualité à jamais. Les couleurs noire, violette et rouge concentrées dans le bas du dessin au pied des deux hommes évoquent la mort, le deuil et la souffrance.

Images 4. L'addition


Dans la seconde salle d’exposition, l'artiste nous propose de découvrir un ticket de caisse, de septante mètres de long, sur lequel est imprimée la liste des soldats enterrés dans vingt cimetières militaires belges. L’œuvre est exposée dans un ancien comptoir de magasin qui ressemble davantage à un cercueil. Le matériau utilisé nous est tellement familier qu'il nous touche intensément. Nous sommes invités à brasser cette liste pour y chercher un nom de famille que nous connaissons, peut-être celui que nous portons ? Troublés, nous savons pertinemment que sur le ticket de caisse, tous ces noms s’effaceront peu à peu pour laisser place au vide.

Images 5. Combler le vide


Une photographie sous verre du monument situé dans le cimetière militaire de Marchovelette est déposée à terre. La vitre a été cassée, créant un trou à hauteur de la sculpture en pierre, symbole d’éternité, sensée persister mais qui, irrémédiablement, finira par s’user comme nos souvenirs.

Jehanne Paternostre nous interroge sur la façon dont nous comblons le vide après la disparition, sur ce que nous construisons pour trouver du sens. Présentée à même le sol, la photographie montre le désir de l'artiste de questionner nos constructions mémorielles, où dans ce cas précis, l’État s'impose face à l'individu, balayant au passage la mémoire individuelle pour glorifier la mémoire collective.

Dans la salle d'exposition, nous comprenons que le rapport a été inversé. La stèle de la mémoire collective s’incline face à la mémoire individuelle représentée par une photographie prise par l’artiste (image ci-dessous) exposée en grand sur le mur.



Au fil des saisons, la tombe du mystérieux soldat est la seule qui ne cesse d’être fleurie par sa famille. Elle rend le cimetière plus vivant, le scelle de la trace d’un passage. C’est un rituel qui convoque une fois de plus l’idée de combler le vide. Une bougie, des fleurs, le portrait du jeune soldat à gauche, plaqué sur le marbre, tous ces éléments, sortes d’offrandes au défunt, viennent le commémorer. L’autel funéraire devient une appropriation d’un espace public, un monument privé dans un lieu qui s’efforce d’être dépersonnalisé au profit de la collectivité.

Image 6. L'homme de l'ombre


Sans épitaphes (au pluriel) rend hommage à tous les anciens combattants qui n’ont pas pu bénéficier d'une inscription lapidaire venant rappeler leur souvenir et les commémorer. Jehanne Paternostre fait ainsi le choix de mettre en avant la mémoire individuelle autant que la mémoire collective. Elle révèle à la lumière chacun de ces hommes de l'ombre.


Texte et photographies : Alicia Hernandez-Dispaux

Photographie de bannière : ©Jehanne Paternostre

Site web de l'artiste :  www.jehannepaternostre.com

Exposition visible le samedi de 13h à 17h ou sur rendez-vous, jusqu'au 13 octobre à la Galerie Short Cuts à Champion (Namur).

Jehanne Paternostre expose en ce moment une œuvre pour le 7m² au PointCulture de Louvain-la-Neuve jusqu'au 27 octobre . Elle participera également à l'exposition "Un humanisme à réinventer" au Musée L de Louvain-la-Neuve dès le 19 octobre.




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