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Focus

Ludion : dynamique de l'édition d'art

Magritte The Revealing Image exposition 2
Racontées par sa fille Ruth, les aventures de Ludion, maison indépendante d'édition d'art à Anvers, fondée par Peter Ruyffelaere.

- PointCulture : Votre site reste très laconique sur l’histoire de la maison. En revanche, on apprend que Ludion est né, non pas à Anvers, mais à Gand. Comment s’explique ce déménagement ?

- Ruth Ruyffelaere : Ludion a vu le jour en 1991 grâce à Peter Ruyffelaere, mon père, qui est historien médiéviste de formation. Il a commencé comme rédacteur-chercheur à Fonds Mercator avant de se lancer, avec deux partenaires, comme éditeur indépendant, à Gand. Au départ, il s’agissait surtout de publier des catalogues d’exposition. Au bout de huit ans, la maison a été revendue au groupe hollandais WPG, basé à Amsterdam et à Anvers. En toute logique, nos bureaux se sont déplacés dans cette ville.

Puis, il y a 5-6 ans, WPG est entré dans une phase de démantèlement. Au cours de cette  restructuration, nous avons constaté chez eux une perte d’intérêt pour l’art. Ludion en a profité pour racheter son indépendance. Et finalement, ce fut une bonne chose, pour nous, un retour aux origines. Maintenant on publie beaucoup moins, à peine une quinzaine de titres par an contre quarante à l’époque de WPG. Là où l’on privilégiait la quantité, nos impératifs ne sont plus les mêmes, et nous sommes désormais en mesure de mieux défendre nos choix, chacune de nos publications étant l’objet d’un grand soin.

À côté des livres, et c’est assez nouveau, nous produisons des lithographies et des sérigraphies. Ceci peut nous permettre de financer certains livres. Les œuvres sont exposées à l’avant de l’atelier. Aux murs en ce moment, il y a le travail d’une artiste bruxelloise, Carole Vanderlinden, qui peint sur la pierre. La démarche est différente pour un grand nom comme celui de Luc Tuymans. Son atelier se trouve à quelques pas d’ici dans cette rue, et il a eu l’idée de gravures élaborées à partir des photos prises en cours de travail. Les gravures figent un moment intermédiaire de la peinture, entre la photo et la toile.

- Quelle relation entretenez-vous avec la ville d’Anvers ? Quel rôle joue-t-elle dans la vie de Ludion ?

- Sur le plan artistique, Anvers est une ville très dynamique. Nous collaborons avec bon nombre de galeries et de musées locaux : le Mukha, le Red Star Line Museum, le KMSKA, le Middelheim. La proximité avec la Hollande tient aussi une part importante dans notre actualité. Et en même temps, on entretient une relation assez forte avec les musées de Wallonie ou de Bruxelles : le Musée de la Photographie de Charleroi, le Centre de la Gravure à La Louvière, le Musée du Cinquantenaire, Bozar, le Musée Magritte à Bruxelles… Ni la langue ni le relatif éloignement géographique ne constituent un frein dans ce type d’échanges. Cela tient peut-être au fait que mon père, Peter, parle très bien le français [Ruth aussi, NDR] et qu’il entretient de bons rapports avec les directeurs de musée francophones.

- L’accès qu’offre Internet, d’une part à des images en très haute définition (avec la possibilité de zoomer sur les détails d’un tableau), et d’autre part, à un corpus de textes de qualité universitaire, vous le ressentez comme complémentaire ou en concurrence avec vos publications ?

- C’est une bonne question. De belles initiatives naissent dans des musées qui décident de rendre publiques certaines œuvres photographiées avec une grande précision, ce qui, effectivement, grâce au zoom, met en évidence des détails qu’on ne verrait pas à l’œil nu. Je ne considère pas que ces images représentent une concurrence par rapport au livre. On en revient toujours au problème d’Internet, au fait qu’il est difficile de faire le tri dans un fouillis d’informations fiables et moins fiables. Le livre donne des gages de confiance, il y a une rigueur scientifique dont l’éditeur se porte garant.


- Est-ce que vous suivez une ligne éditoriale spécifique au niveau du choix des artistes ou des périodes couvertes par vos ouvrages ?

- Notre catalogue couvre diverses formes d’art sans restriction temporelle. Par le passé nous avons beaucoup défendu l’art ancien, Bruegel, Bosch, Le Caravage… Mais l’art contemporain nous a rattrapés de même que la photographie que nous tenons à représenter davantage. Actuellement, nous allons dans le sens de l’ouverture, d’un décloisonnement des disciplines.

- C’est donc une affaire de goût. Les décisions se prennent en équipe ?

- Oui, nous ne sommes que quatre et ensemble, nous discutons de tout : couverture, choix des matériaux, qualité du papier. Tout le monde s’implique sur tous les aspects d’un projet.

- Quels sont vos livres phare, vos préférés, ceux que vous considérez comme emblématiques de la maison ?

- Je vais vous répondre en mon nom, les choix de Peter seraient probablement différents. Je pense notamment à des livres qui sont aujourd’hui épuisés et qui portent sur l’œuvre de l’artiste anversois Panamarenko. Des livres hors format, complètement atypiques.

En ce qui me concerne, parmi les livres dont je suis fière, il y a la série Le Sens caché, une idée de Peter, How to read en anglais, des guides traduits dans plus de 10 langues, publiés en Chine, en Corée, en Espagne, en Italie… La série commence avec l’art ancien et se poursuit jusqu’au contemporain, aborde les mythes et récits bibliques, l’érotisme, l’histoire. Chaque ouvrage se concentre sur un thème que viennent illustrer une centaine d’œuvres. Les textes restent précis avec une visée pédagogique. Un succès !

Une autre série s’intitule Par le détail. Cela renvoie à ce que vous disiez de la concurrence avec les œuvres numérisées qui élèvent notre niveau d’exigence vis-à-vis des reproductions et surtout, changent notre regard. Ce type de livres réclame de notre part un effort fou en termes d’agrandissement de l’image. Le procédé est aussi très coûteux. Sur ce point, nous prenons part à un projet de livre numérique qui reste le support idéal pour ce genre de pratique. Le numérique permet de zoomer sur des détails déjà agrandis. Parmi les peintres concernés par cette série, on trouve un ouvrage sur Van Eyck, Vermeer, Bruegel, Bosch, Le Caravage et on travaille actuellement sur Leonard de Vinci, dont on célébrera en 2019 le 500ème anniversaire de la mort. Cette même année, on fêtera aussi Bruegel mort en 1569.

- Vous vous alignez sur cette effervescence ?

- Bien sûr, si nos publications ne s’inscrivent pas dans une actualité, nos livres resteront invisibles. Il y a si peu de librairies spécialisées ! En Flandre il y a le Copyright à Anvers et à Gand, à Bruxelles Peinture Fraîche, et quelques autres petites librairies…

- Pourtant, une de vos publications récentes concerne un pan méconnu de l’œuvre des Quay Brothers, frères jumeaux américains maîtres de l’animation, pour le coup en marge de l’actualité.

- Ce n’est clairement pas un projet commercial. Pourtant le cinéma des frères Quay est assez culte et réunit un groupe de fans assez conséquent. Résultat : le livre se vend très bien. Il nous a été inspiré par un ami galeriste qui connaît les artistes. Il s’agit des Black drawings, une série de dessins réalisés dans les années 1970, des affiches imaginaires de film, comme leur cinéma, en rapport avec la culture slave. Cela reste un choix audacieux destiné à un public réduit.

- De la part d'une maison d'édition, la production de sérigraphies et de lithographies en soutien des livres est une activité assez inhabituelle. Inhabituel aussi est le montage d'expositions. Il apparaît que Ludion investit désormais ce champ-là également, comment cela s'organise-t-il ?

- Pour la toute première fois on a organisé une exposition autour de photographies et films de René Magritte. Le commissaire de l'exposition – qui a fait le choix des photos et des films – est Xavier Canonne, le directeur du Musée de la Photographie à Charleroi. L’exposition a été inaugurée en Australie, est passée ensuite par Hong Kong, et elle sera montrée cet été à Taipei, au Taipei Museum of Fine Arts. On cherche maintenant de nouvelles destinations en Amérique et en Europe. On a bien sûr aussi publié un livre pour accompagner l’exposition : Magritte – The Revealing Image. Il faut dire que tout ce qu’on fait d’”atypique", est quand-même toujours lié au livre, aussi bien les éditions (lithographies, sérigraphies) que les expositions. 

On aimerait continuer dans cette nouvelle voie, peut-être avec un artiste contemporain, comme Kerry James Marshall. 

- Pourquoi « ludion » ? D’où vient le choix d’un tel mot pour désigner votre maison ?

Le nom de Ludion nous a été suggéré par l’artiste Pierre Alechinsky. Il s’agit d’un objet de démonstration ludique du phénomène physique de la pression.

Il est vrai que la pression, ou plutôt le stress, n’est jamais très loin dans une petite maison d’édition qui, à ses débuts, était orientée vers les catalogues d’exposition. Avec les catalogues, il ne fallait surtout pas rater les vernissages !

Mais le nom nous a plu car il possède une connotation internationale, à l’image de Phaidon, et passe bien à New York, Paris ou Amsterdam.


Propos recueillis par Catherine De Poortere

Crédits photo : ©Ludion pour les livres.


Ludion Publishers
Leguit 23
2000 Antwerp

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