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Focus

Francofaune 2017 – Albert Marcoeur a laissé sa marque dans nos cœurs

Albert Marcoeur 1

publié le par Guillaume Duthoit

Ce samedi 7 octobre 2017, Albert Marcœur et le Quatuor Béla ont donné un concert incroyable au Centre Culturel Jacques Franck dans le cadre du toujours plus aventureux festival FrancoFaune. Retour sur ces instants parfaitement inoubliables.

Autour de moi, j’ai entendu certaines personnes qui se sont intéressées à Albert Marcœur dire qu’il regrettait qu’il ne fasse plus vibrer les cordes de sa musique inclassable et de ses chansons décalées. Pour celles-ci, celui qu’on a pu comparer à Frank Zappa ou au groupe de rock expérimental britannique Henry Cow se serait arrêté il y a belle lurette. Leurs souvenirs remontent à loin ; généralement, au moment où on a cessé de relayer son travail de manière large, au début des années 80.

Et pourtant, l’imprévisible bonhomme a continué à réaliser des disques autoproduits incroyables, toujours flanqué de ses frères, mais aussi, le temps de deux albums, en dialogue avec la chanteuse Élise Caron. Et depuis Travaux pratiques sorti en 2008, il collabore de près avec le Quatuor Béla (Frédéric Aurier et Julien Dieudegard  aux violons, Julien Boutin à l’alto et Luc Dedreuil au violoncelle), exceptionnel quatuor à cordes spécialisé dans la musique contemporaine, aussi à l’aise dans l’interprétation des œuvres de Ligeti que de celles de Thierry Blondeau.

En 2013, Albert et le Quatuor Béla se lancent dans une série de concerts avec un nouveau spectacle intitulé Si oui, oui. Sinon non commandité par les quatre musiciens virtuoses eux-mêmes. L’intégralité des nouveaux titres de ce spectacle figure aujourd’hui sur un disque éponyme sorti en mars 2017.

Ce samedi 7 octobre, Si oui, oui. Sinon non a été joué à Bruxelles devant un public composé principalement d’amateurs de chanson n’ayant au meilleur des cas entendu parler que très vaguement de notre drôle d’oiseau. Autant le dire tout de suite, on a tous ri de bon cœur tout au long  de la soirée et on a fini debout pour applaudir à tout rompre l’étonnante performance d’Albert et de ses musiciens.

Albert Marcoeur 3

À 69 ans, toujours inspiré, cet anticonformiste acharné n’a rien perdu de sa perspicacité et de sa capacité à mettre le doigt dans les rouages absurdes d’un monde bien trop formaté à son goût. Ses chansons ‘autistes’ dévoilent un artiste dont la sensibilité se heurte sans cesse à la bêtise désespérante de ce monde de fous. Heureusement – et c’est ce qui fait la force de son œuvre –, sa profonde amertume, il l’exprime avec un humour ironique et une poésie qui n’appartiennent qu’à lui. On s’attache très vite à ce petit homme qui, l’air de rien, au travers de chansons faussement légères, tire la sonnette d’alarme face à certains de nos comportements stupides et/ou inquiétants. C’est qu’au travers de ses indignations, Albert prouve qu’il n’a rien d’un aquoiboniste. On sent qu’il veut croire encore à la beauté et à l’intelligence de l’humanité.

Tous ces propos légers dans la forme mais lourds de sens, il nous les livre au travers de textes savoureux qui font la fête aux sens des mots et à leurs sonorités. Oui, Albert est un véritable obsédé textuel, jonglant avec les figures de style, les formes – c’est un spécialiste des chansons énumératives – et les doubles-sens.

Pour habiller ses phrases simples qui semblent anodines mais qui en disent long sur nos manières étriquées de penser, de bouger, d’exister, Albert a créé des partitions de haut vol taillées sur mesure pour le fabuleux quatuor. Et s’il compose de manière savante comme on le fait pour de la musique classique, il y apporte sa fantaisie et la rugosité de son chant proche du parlé. Des bruits de bouche et des bizarreries vocales qu’il partage avec le Quatuor Béla, impressionnant dans ce registre aussi, dans sa capacité à aborder un répertoire sans aucune ornière. Par cette approche hors du temps, ces cinq-là ont su libérer la chanson de ses archaïsmes.

Durant cette soirée ‘émerveilleuse‘, nos cinq interprètes ont bien sûr fait une grande place aux titres de l’album qui vient de sortir. Parmi tous ces nouveaux joyaux, certains morceaux ont continué à me hanter après le concert. « L’éclipse » tout d’abord, qui est l’histoire d’un déplacement au Havre avec lunettes adéquates pour assister à une éclipse qui restera invisible, cachée par le brouillard et les nuages épais. Une déception que la télé saura consoler. Beau clin d’œil à l’album L Apostrophe (2005) : L’éclipse/L apostrophe, e, c, l, i…, p, s, e/L’éclipse. Plus tard, Albert nous confie qu’il ne supporte pas les valises à roulettes qui envahissent les zones piétonnes. Et, devinez ce qu’il a reçu pour son anniversaire ? « Les valises à roulettes » est déjà un morceau d’anthologie. Peut-être le seul tube (sur YouTube en tous cas) d’Albert Marcœur, avec ces chœurs irrésistibles qui imitent le bruit des roulettes.

Et puis, il y a cette histoire touchante de deux petits vieux qui perdent la mémoire et la retrouvent juste le temps de poser la question essentielle : Tu m’aimes ? (« Les deux petits vieux »). Enfin, Albert n’en revient pas qu’on ait besoin de tant de papiers hygiéniques et de produits d’entretien, avec au final cette jolie réflexion : C’est fou tout c’qu’on a besoin/Tout ce dont on a besoin/Pour oublier que dehors, c’est pas brillant !/Faut faire briller dedans.

Outre les autres titres du nouvel album, on a eu droit à une belle brochette de titres anciens comme les classiques « Déclaration officielle » (1998) et « Album de photos » (2001) et trois titres de l’album Travaux pratiques (2008) : « Bourrée en la », « Un poète péruvien à Paris » et le génial « Stock de statistiques » où Albert dénonce l’absurdité des statistiques : 1 français sur 4 consomme des antidépresseurs/[…]/1 français sur 10 souffre de migraines/[…]/1 français sur 2 a ou aura un cancer. La chanson tourne au cauchemar quand il imagine qu’il puisse s’agir d’une seule et même personne : Et si c’était le même/[…]/Trop à ce point-là/Tout ce « pas de pot »-là.

Je ne peux que vous recommander chaudement ce concert magique dont il faut louer aussi le jeu de lumière et la mise en scène sobre et puissante : Albert, les yeux tantôt malicieux, tantôt paniqués, assis derrière sa table (qui lui sert de percussion) avec ses papiers, ses notes, son album photo…, porté par l’aura bienveillante des quatre musiciens chanteurs qui sont totalement investis dans les rôles qu’il leur fait jouer.

Surtout, surtout, ne manquez pas cette expérience hors du commun si elle passe près de chez vous !


Guillaume Duthoit