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Focus

Carl De Keyzer au Botanique – Romantisme contemporain

(c) Carl De Keyzer - Higher Ground - 2016 (2)
Un regard photographique sur le futur - empreint de beauté autant que de menace - et qui rappelle l’humanité à l’ordre face à la toute puissance de la nature.

Avant de me rendre à l’exposition, je ne connaissais pas l’univers de ce photographe belge qui jouit pourtant d’une notoriété internationale et de plus d’une récompense à son palmarès. Carl De Keyzer se dit peu sociable et sa pudeur est perceptible lors de la visite commentée qu’il nous offre pourtant dans un parfait français. Ses clichés, dont le format se prête idéalement au genre du paysage, sont absolument fascinants, probablement par les références et symboles que l’on croit reconnaître et qui leur donnent un air de déjà-vu et une dimension universelle patente.

La qualité de style de l’artiste est aisément reconnaissable. Une trentaine d’années de pratique lui ont permis de développer une esthétique qui le distingue des autres photographes. Certains indices reviennent continuellement : les compositions sont réfléchies, elles trahissent un désir de perfection et de contrôle absolu sur la photographie, le regard est introduit par des lignes de fuite très marquées et par des éléments solides en avant-plan qui viennent accentuer la profondeur de l’image. Dans les deux séries proposées jusqu’à la fin du mois d’avril au Botanique, la nature omniprésente est couplée à une présence humaine explicite ou parfois seulement suggérée par des éléments d’architecture.

Photographie romantique, un nouveau genre ?

Moments Before the Flood et Higher Ground sont deux séries qui captivent le regard par la manière dont le photographe réussit, à travers elles, à faire revivre le romantisme qui caractérise la peinture occidentale du 19ème siècle. Par quelle porte ce courant s’invite-t-il donc dans les œuvres de Carl De Keyzer?Caspar David Friedrich - Morgen im Riesengebirge(c) Carl De Keyzer - Higher Ground - 2016 (2)

Si l’on compare « Matin dans les Monts des Géants » de Caspar David Friedrich, figure de proue du romantisme avec la « photo au container » de la série Higher Ground de Carl De Keyzer , on peut sans peine identifier les points de convergence entre les deux images. Des paysages grandioses où l’horizon s’étend à perte de vue laissant au spectateur un sentiment d’immensité et de liberté mêlé à celui du vide, reflet d’une existence domptée par la solitude. La nature impose sa puissance face à l’humanité, c’est elle qui dirige en fin de compte. Si dans la peinture de Caspar David Friedrich la présence humaine n’est pas explicite, elle est cependant suggérée par la croix. Dans la photo de Carl De Keyzer, elle est insinuée par le container plus que par les deux petits personnages presque insignifiants dans la plaine montagneuse.

Le réalisme, spécifique au courant romantique et par ailleurs constitutif du médium photographique, est étrangement poussé à son paroxysme par la netteté de l’image et le travail de post-production pratiqué par Carl De Keyzer. Les clichés virent à l’hyperréalisme. Cette exagération du réel participe à éloigner la photographie de son caractère purement mimétique, comme si cette ressemblance trop lisse venait l’annuler pour nous plonger dans un monde de fiction.


Le romantisme s’exprime également dans les thématiques abordées dans les deux séries. La première, qui a déjà été exposée à travers le monde, intitulée Moments Before the Flood est une réflexion sur le réchauffement climatique et son impact sur notre planète. Durant quatre ans, Carl De Keyzer a parcouru le littoral européen pour capter des images dont le caractère immobile et l’impression d’un temps suspendu pour une durée indéterminée, sont flagrants. Le photographe utilise un trépied donnant un ancrage solide à la composition. Pas d’agitation propre aux marines romantiques « à la Turner » mais bien une inquiétante attente qui met le spectateur sur ses gardes. Car les œuvres de cette série n’inspirent aucunement la tranquillité, au  contraire, elles nous placent sous tension. Ce projet découle en fait d’une réflexion de l’artiste suite au visionnage du film d’Al Gore Une vérité qui dérange (2006). À compter de ce jour, Carl De Keyzer modifie le regard qu’il pose sur la mer. De lieu paisible, elle devient soudainement un ennemi possible.

En toute logique, les scénographes ont décidé d’installer la deuxième série intitulée Higher Ground à l’étage de l’espace d’exposition. C’est la première fois que la série est présentée au public. Elle est le résultat de deux ans de travail. Pas de menace dans ces clichés dont le format est identique à celui de la première série. Carl De Keyzer nous donne sa vision du futur en partant du postulat que l’homme, contraint par la montée des eaux, a du fuir dans la montagne pour survivre. Une vision a priori sombre de la réalité qui contraste avec la beauté des paysages photographiés.

Pour Higher Ground, Carl De Keyzer a fait appel à l’écrivain français Philippe Claudel qui a produit pour ce projet un ensemble de nouvelles intitulées « Ararat ». Certains des textes accompagnent les photographies dans les salles d’exposition et font basculer la série dans un récit de science fiction. Au contact de ces « still images » dont la narrativité est introduite par l’écrit, impossible de ne pas penser au septième art. En effet, nous sommes à deux doigts du photo-roman, qui n’est pas sans rappeler le premier du genre : La Jetée de Chris Marker. Hasard ou non, ce film datant de 1962 a été réalisé au Pentax, la marque utilisée par Carl De Keyzer pour sa série Higher Ground. La thématique de ces deux œuvres se prête également à l’exercice de comparaison. La Jetée se déploie sur un fond de troisième guerre mondiale (faisant écho aux craintes d’une Europe encore meurtrie par la guerre) tandis que Higher Ground plonge dans une fiction tout aussi apocalyptique en nous plaçant face à un futur étrange, auquel nous risquons d’être confrontés si nous continuons à fermer les yeux sur les risques environnementaux que comprend notre mode de vie actuel. La narration est quant à elle travaillée de manière distincte. Si La Jetée la développe par la succession méthodique d’images et la voix d’un narrateur, Higher Ground propose des photographies qui ne se suivent pas forcément. Le récit est construit par les textes qui accompagnent les images et par l’imagination du spectateur. Ainsi, La Jetée est un diaporama de photographies en noir et blanc qui se succèdent et soulignent le fait que le cinéma est avant tout de l’image en mouvement, lorsque Higher Ground relève davantage du pathéorama (visionneuse souvent utilisée par les enfants et permettant de faire défiler quelques diapositives dont la part de narrativité revient à celui qui l’utilise).

L’analyse du travail de Carl De Keyzer est infinie… Il reste à mentionner que les préoccupations qu’il exprime à travers ses clichés sont abordées dans le programme Nature Culture de PointCulture, tout comme à féliciter le travail du service des arts plastiques du Botanique. Les dispositifs de médiation de qualité et le prix démocratique de la visite font de cette exposition un incontournable de l’agenda 2017.

 
Alicia Hernandez-Dispaux


Carl De Keyzer: Higher Ground / Moments Before The Flow

Du jeudi 2 mars au dimanche 30 avril
(du mercredi au dimanche)

Le Botanique

236 Rue Royale
1210 Bruxelles
2 € à 5.50 €

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