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Focus

4 questions à Joëlle Sambi Nzeba (Pinkshasa Diaspora)

Pinkshasa Diaspora - Alain dans la rue.jpg
À l'occasion de "God Save the Queer", nous avons interviewé la poétesse, slameuse et réalisatrice à propos de son travail (en cours) sur le premier documentaire sur les vécus de gays, lesbiennes, bi, trans de la diaspora congolaise.

- PointCulture : Vous êtes auteure, poétesse, slameuse... En quoi l’écriture d’un documentaire diffère t’elle de l’écriture d’un roman, d’une nouvelle, d’un slam ?

Joëlle Sambi Nzeba - photo Lise Ishimwe.jpg

- Joëlle Sambi Nzeba : Ma pratique artistique touche essentiellement à l’écriture et à la parole (slam). C’est une activité solitaire même si elle se nourrit du monde, des gens, des situations, etc.

Autour de moi, pas mal d’ami·e·s travaillent dans le cinéma et j’ai vite compris qu’écrire pour le cinéma ce n’est absolument pas la même chose qu’écrire un roman ou un poème. En documentaire, il y a une sorte d’exigence de description, dire comment, expliquer pourquoi sans non plus inventer puisque c’est du réel. Bref, tout cela est assez neuf pour moi. Je me doutais qu’un travail d’écriture en amont serait nécessaire avant la réalisation de ce film mais maintenant que je suis dans le bain, je prends la mesure de l’ampleur de la tâche. J’active des espaces de logique dans mon cerveau et ma familiarise petit à petit avec certains langages cinématographiques.

La différence pour moi qui adore écrire des histoires, c’est qu’ici j’ai décidé de filmer le réel, pas de l’inventer. Cela me paraît abyssal parfois mais c’est un challenge. — Joëlle Sambi Nzeba

Pour Pinkshasa Diaspora, mon écriture se nourrit de ce que je lis, des films que je vais voir mais aussi des discussions avec des ami.e.s qui travaillent dans le cinéma ou les personnes qui forment l’équipe technique du film, de la production, etc. Ce que j’aime particulièrement c’est la possibilité pour moi de mettre en œuvre une règle à laquelle je tiens, quel que soit le projet que j’entreprends : chacun son métier. Je crois que nous avons tou·te·s une expertise, un talent dans un domaine (ou plusieurs) plutôt qu’un autre. Réaliser un film c’est s’entourer d’une équipe, c’est se faire suffisamment confiance que pour donner le ton, orienter l’ensemble, donner à voir ce que l’on imagine. C’est également croire en la capacité de chaque membre de l’équipe à saisir l’essence de ce que l’on souhaite et à y ajouter son grain de sel. C’est la combinaison de nos savoir-faire qui donne lieu à d’étincelantes pépites. Même si c’est moi qui réalise, à chaque étape, je confronte mes intentions de réalisation avec différentes personnes, cela va de ma productrice à ma relectrice, en passant par ma cheffe op’, etc.

Finalement avec chacun·e, à des degrés différents d’implication, il y a des échanges, de remarques, des aller-retours qui font que quand je prends mon bic pour écrire, je me sens un peu moins « seule ». C’est particulier, j’avoue mais rassurant aussi.

- Pourquoi avoir choisi la forme du documentaire pour traiter de ce sujet ?

- Joëlle Sambi Nzeba : Parce que justement je viens du monde de l’écriture. Contrairement au livre, il est plus facile de diffuser un film, de l’exporter, de le transmettre, de le montrer. Ça c’est la raison pratico-pratique on va dire.

Il y a une autre raison, plus politique celle-ci. On parle beaucoup de l’absence de personnes noires dans les paysages médiatique et cinématographique en Belgique – pour ne prendre que ces deux domaines-là. Vous imaginez donc bien que les homosexuels noirs qu’ils soient congolais ou pas d’ailleurs sont encore moins visibles. En 2012, à l’occasion du lancement de Massimadi, le festival de film LGBT d’Afrique et de ses diasporas, lorsque j’ai découvert, qu’il n’y avait pas de films LGBT congolais, que ce soit en fiction ou en documentaire, cela m’a fait un choc, alors que je le savais mais tout de même . Je me suis dit alors qu’il fallait combler ce manque, faire ce film car depuis nos vécus en diaspora, nous participons autant que d’autres à la narration, à l’histoire du Congo. Mais aussi, inévitablement à celle de la Belgique.

Curieusement, une telle absence de films LGBT congolaise est paradoxale à l’heure où les réalisateur.trice.s de la RDC osortent de plus en plus de films. Qu’est-ce qui explique une telle absence ? Alice Walker disait que la manière la plus courante qu’ont les gens d’abandonner leur pouvoir, c’est de penser qu’ils n’en ont aucun. Peut-être avons-nous courbé l’échine, peut-être que ce n’était pas encore le moment ? Je n’en sais rien, ce qui est certain c’est que nos seules présences, nos paroles, nos alliances, nos amours, nos communautés LGBTQI sont une force, un pouvoir féroce. Nous existons, nous sommes réel·le·s. Réaliser un documentaire plutôt qu’une fiction, c’est souligner tout ça, c’est nous ancrer dans la réalité. C’est certainement une manière de ne pas abandonner, de ne pas laisser nos voix se perdre dans les limbes de l’hétéronormativité, du racisme, du sexisme, de l’homophobie, etc.

Pinkshasa Diaspora met la lumière sur celles et ceux que l’on ne voit pas – ou qu’on ne veut pas voir : les homosexuel·le·s noir·e·s. Il est révolu le temps où nous rasions les murs, elle finie l’époque où nous devions correspondre aux fantasmes des uns et des autres, entre la folle un peu bête, la mal-baisée, le 'bounty' acculturé ou le bon assimilé. — Joëlle Sambi Nzeba

J’ai envie que l’on voie nos corps avec leur noirceur, leurs rides et les vergetures, avec leurs élans, leur beauté, leurs éclats et leur extraordinaire banalité. Je souhaite que l’on entende ce que nous avons à dire même si ça fait des larsens et que ça dérange la bonne morale, en Belgique, au Congo comme partout ailleurs.


- La question de la visibilité, de « ne plus raser les murs » pour les personnes LGBT du Congo (et de la diaspora), semble très importante dans le projet ayant mené au film. Dès lors, l’idée première en terme de personnages du film était-elle de déjà simplement leur donner – à leurs corps, à leurs paroles - une existence à l’écran, de les rencontrer, puis de se laisser surprendre et de voir où cela vous mènerait, sans trop prévoir... Ou alors aviez-vous des idées plus précises, plus « scénarisées » – en amont du tournage – du type de “personnages”, de présences que vous cherchiez pour construire le propos du film ?

- Joëlle Sambi Nzeba : J’avoue que j’ai entamé la réalisation de ce film comme je le fais pour mes livres : en laissant libre cours à mon instinct, à l’impulsion des images et des idées qui surgissent. Je fonctionne beaucoup « au flash » Ça, ça fonctionne pour écrire un roman, pas pour réaliser un documentaire. Du moins pas complètement, pas tel que je l’expérimente.

À l’heure actuelle, je travaille à confronter mes « flashs » à la réalité de la réalisation documentaire. Ceci étant, je ne pense pas scénariser mes scènes, du moins, je n’en suis pas encore là. Les choses sont encore en construction. Ce sera un film qui donne la place à la parole mais aussi aux sens. Vous verrez. Là, pour l’instant, il m’est difficile d’en parler concrètement, parce que tout cela est un processus en cours.

- Pour beaucoup de personnes pétries d’à-prioris – sans doute en partie les mêmes gens qui jugent les questions de genres et de préférences affectives et sexuelles selon des critères trop binaires, rigides ou discriminants – l’exil et la migration sont des réalités qui ne se passent que dans un seul sens... Or, votre parcours montre que ces mouvements sont aussi fait d’allers-retours : vous êtes née à Bruxelles, vous avez grandi à Kinshasa, vous êtes revenue ici en 2001... Cette position intermédiaire, un pied ici / un pied là-bas, cette double identité vous a t’elle aidée dans ce projet de film ?

- Joëlle Sambi Nzeba : Elle m’aide certainement à saisir l’inconfort qu’évoquent en filigrane les personnes que j’interroge. Nous sommes d’ici et de là-bas, d’ailleurs et de nulle part. C’est un peu l’histoire de ma vie mais certainement, d’une certaine manière celle de beaucoup d’afrodescendant·e·s et d’afropéen·ne·s

Parfois c’est une lourdeur, souvent c’est une richesse, ce qui est certain c’est que ce n’est pas de tout repos.


Interview réalisée par e-mail en février 2019.
Questions : Philippe Delvosalle

Photo du bandeau (extraite du film) : Natacha Hubaut
Portrait de Joëlle Sambi Nzeba : Lise Ishimwe



Le documentaire en devenir Pinkshasa Diaspora sera montré
dans le cadre de God Save the Queer

Ce Vendredi 22 février 2019

au PointCulture Bruxelles

Joëlle Sambi Nzeba y participera en outre au débat Sexualité, corps et religion.

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