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Critique

La nuit où Martin Tétréault a dit "Non"

Martin Tétréault par Fabonthemoon

recyclage, Montréal, Martin Tétréault, Archipel

publié le par Pierre Hemptinne

Martin Tétreault travaille à Montréal. Il est né en 1957. Artiste plasticien, il « bricole » et transforme des objets (livres, revues, etc.). Musicien, il est platiniste, il s’approprie les musiques déjà enregistrées, fixées dans les sillons de vinyles pour en inventer d’autres.

Martin Tétréault les dénature en bouleversant leurs contextes, en dissociant leur logique, en les expulsant de leur destinée. Il les découpe en fragments sémantiques prêts à composer de nouvelles narrations sonores obliques. Il opère donc par expropriation, déterritorialisation, dépaysement, et puis par collages, télescopages, superpositions, frottements, allusions, effacement, citations, correspondances intuitives, accélérations, ralentissements. Ce qui est fascinant est de se représenter à quel point il faut connaître intimement les sons, les bruits et les musiques que l’on entreprend ainsi de réorganiser, en intervenant au niveau de leurs molécules, de leurs codes génétiques. Et il n’y a pas d’ordinateur, toute la construction s’élabore dans le cerveau et dans le toucher, la peau, paumes et doigts sur les disques sillonnés, le plastique et la bande des cassettes, le bras, l’aiguille et le plateau rotatif des appareils de lecture extérieurs que, par son savoir-faire, il intériorise. Un bel exemple d’organologie où le corps se prolonge et se ramifie dans des machines et objets « étrangers ». Il manipule plusieurs tourne-disques, des microsillons, des cassettes, une console. Il applique aussi aux surfaces des disques et des platines le principe du « piano préparé » : disposer des objets et des obstacles qui font sauter l’aiguille, la détournent, introduisent des intrus. Les mécanismes et les grésillements électromagnétiques font partie intégrante de la chair musicale. La matière qu’il travaille pour composer le contenu de ce CD provient de vingt-cinq disques dont il donne les références précises. Cela donne, entre autres, une œuvre de Pierre Henry, deux pièces de Morton Subotnik, un quintette pour cuivres de Carter et pas mal de disques de bruitages (genre odyssée spatiale, atmosphère galactique ou le Sound Effects 7 avec ses sons d'appareils électroménagers, bruits dans la maison, bébé qui pleure, hélicoptère et voiture de pompiers), d’expression corporelle (de la série « imaginations »), des musiques d’ambiance et d’ameublement, des échantillons didactiques, des percussions traditionnelles… Le climat est étrange. Une musique de grand magasin (à l’ancienne) qui envahit l’espace mental du musicien. Une âme qui se saborderait en s’ouvrant à l’écoulement languide de sons impersonnels, exsangues à force d’être recyclés, aspirés comme l’eau d’un évier par le vide des canalisations. Une dérive cosmique intérieure vers un point zéro hanté, animée d’aventures anémiées, de rêves synthétiques. Une saga enfouie, un trop-plein de signaux sonores alarmés, des sirènes étouffées et des frappes rythmées d’alerte, le tout aseptisé, comme une angoisse clinique. La bande-son d’un renoncement énigmatique, relâchement, abandon, puis transmigration dans une autre dimension, des adieux mélancoliques sous cellophane, au fur et à mesure que l’espace mental se sent colonisé par des entités musicales venues d’ailleurs, qui prennent le contrôle.

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Pierre Hemptinne
texte écrit en 2010 pour le projet Archipel

photo: Martin Tétréault en février 2009 chez Q-O2 (Bruxelles) par Fabonthemoon
(licence Creative Commons)

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