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Critique

Ode à la patience - « La panthère des neiges », un film de Marie Amiguet et Vincent Munier

La panthère des Neiges
Vincent Munier et Sylvain Tesson vont-ils apercevoir la panthère des neiges, animal qui ne se montre que très rarement sur les hauts-plateaux du Tibet ? Ce documentaire les suit dans leur quête, et surtout leur attente, dans des conditions glaciales.

Nick Cave & Warren Ellis, « We are not alone »

Ce monde a des oreilles et les rochers ont des yeux
La nature aime se cacher
Le monde est un buisson plein de regards de feu
La nature aime se cacher
J’ai beaucoup voyagé, j’ai été observé
J’ai été observé et inconscient
J’ai beaucoup voyagé sans me douter qu’on m’observait
On n’est pas seuls (Bonne nouvelle pour la vie)

Quand Vincent Munier, photographe animalier, propose à l’écrivain voyageur Sylvain Tesson de l’accompagner dans une entreprise un peu particulière, celle d’aller à la recherche d’un animal quasi invisible au Tibet, celui-ci est immédiatement enthousiaste. Et pourtant tout oppose Munier et Tesson. Le premier est le spécialiste de l’affût, de l’attente, de la patience. Il reste des heures immobile, terré dans une nature inhospitalière pour capter sur sa lentille des images splendides d’animaux du monde entier. Il est parti à la recherche du loup arctique au Canada, des grues du Japon à Hokkaido, de l’ours brun du Kamchatka… Sylvain Tesson, lui, est un voyageur qui ne peut s’arrêter de bouger, d’aller d’un endroit à l’autre, qui écrit beaucoup et qui est un bavard invétéré. Leur association est un sacré paradoxe !

Et pourtant, ils partent ensemble, accompagnés de deux personnes invisibles dans le documentaire mais de toute première importance : Marie Amiguet tient la caméra, Léo-Pol Jacquot est le preneur de son. Le film présente une certaine continuité mais il s’agit en fait d’une juxtaposition de plusieurs voyages. Sylvain Tesson les raconte d’ailleurs dans son livre La panthère de neiges, où il en profite pour être bien plus bavard et raconter ses propres histoires plutôt que de parler vraiment de son expérience. Heureusement, dans le film, son côté réactionnaire est beaucoup moins présent. Si vous détestez ses livres, ne boudez pas le documentaire, il n’est pas le personnage principal. Mais il avoue cependant qu’il serait bien déçu s’il ne voyait pas l’animal rêvé.

« ‘Panthère’, le nom teintait comme une parure. Rien ne garantissait d’en rencontrer une. L’affût est un pari : on part vers les bêtes, on risque l’échec. Certaines personnes ne s’en formalisent pas et trouvent plaisir dans l’attente. Pour cela, il faut posséder un esprit philosophique porté à l’espérance. Hélas, je n’étais pas de ce genre. Moi, je voulais voir la bête même si, par correction, je n’avouais pas mes impatiences à Munier. » — Sylvain Tesson, La panthère des neiges

La panthère des neiges est le film d’une rencontre entre deux hommes, dont la conversation doit se limiter à des chuchotements pour ne pas effrayer le monde animal. Munier est le professeur, c’est lui qui dirige l’action et on voit bien que parfois Tesson a du mal à accepter de ne pas mener l’affaire, et aussi qu’il s’ennuie sérieusement à certains moments. Munier sait où se placer pour mieux observer la faune et comment installer son appareil pour créer ses images exceptionnelles. Quelques clichés sont montrés dans le documentaire, mais ce sont surtout les plans filmés de Marie Amiguet qui forment l’essentiel du récit.

Toute l’équipe se trouve donc sur les hauts-plateaux du Tibet, quelque part près des sources du Mékong, dans une zone située à 4000 ou 5000 mètres où ne vivent que quelques nomades et éleveurs de yacks. La paysage est aride, parsemé de pics rocheux, entrecoupés de petits espaces à l’herbe brune, desséchée mais qui suffit à nourrir la faune locale. Il y a des renards, des antilopes chirus, des chats de Pallas ou manul qui ressemblent à des peluches vivantes, des moutons bleus ou grands bharals, des chiens de praires pika, des oiseaux de proie mais aussi de simples passereaux, ou encore des chouettes et hiboux, des yacks sauvages et puis cet animal si rare, la panthère. Cette panthera uncia au pelage gris pâle à gris jaune moucheté de taches et rosettes a une préférence pour les ravins escarpés et rocheux et est considérée comme « espèce vulnérable » - il n’en resterait que 4500 à 8700 dans une zone qui va de l’Altaï et de la Sibérie à l’Himalaya et au plateau tibétain. Elle ne se laisse que rarement observer, ce que racontera Peter Matthiessen dans son livre Le léopard des neiges. A cet égard, Vincent Munier et Sylvain Tesson ont été plus chanceux.

Repérer des animaux dans ce paysage sauvage, fracturé, difficile d’accès et aux températures glaciales n’est pas chose aisée. La faune locale a développé à l’extrême l’art du camouflage, s’ornant de couleurs similaires à celles du paysage, des ocres, des bruns, des gris pâles qui s’effacent dans les contreforts rocheux et les plaines à la végétation brûlée par la sécheresse et le vent. Et s’il neige, c’est tout autant compliqué, le blanc effaçant tous les repères. Cela donne des images qui lorgnent vers le gothique, des pics rocheux noirs balayés par le vent et la brume, des yacks imposants qui sont la seule tache foncée sur une étendue nivéenne.

Munier et Tesson ont revêtu des tenues de camouflages, mais cela ne suffit pas, leur odeur les précède, et si le vent est dans la mauvaise direction, les humains se font repérer d’autant plus vite. Ils sont les observateurs mais ils sont également observés, même s’ils ne le remarquent pas. En tant que spectateur, on scanne à tout moment l’écran pour repérer un animal, mais il faut souvent quelques secondes, voire plus, pour que le regard soit attiré par un mouvement (un conseil : regardez ce film sur grand écran !).

« La panthère nous avait entendus. Sans doute nous observait-elle, cachée dans les rocailles, inquiète que des bipèdes – race honnie entre toutes – puissent lui ravir sa proie. » — Sylvain Tesson, La panthère des neiges

Les images magnifiques de Marie Amiguet sont accompagnées d’une musique non moins prenante. C’est Warren Ellis qui l’a composée, en collaboration avec son comparse Nick Cave qui interprète la chanson-titre, « We are not alone », sur un texte de Tesson. Ellis n’avait a priori pas le temps pour écrire une musique pour un film, mais quand il a vu les images brutes, il a été saisi par leur beauté et secoué au plus profond de son âme. Appelant son ami Nick Cave à la rescousse, ils se sont enfermés en studio et ont improvisé, sans plan précis, y allant au ressenti. Le résultat est un score minimaliste et obsédant à la fois qui ajoute une incroyable poésie aux images. Si cette musique est superbe, le film laisse malgré tout beaucoup de place au sons de la nature, au silence qui n’est pas vraiment du silence : si on écoute bien (et le travail de Léo-Pol Jacquot y est pour beaucoup), on entend un chant d’oiseau, une alerte de marmotte ou le cri sourd du yack.

La panthère des neiges est un film empli d’une sérénité quasi religieuse, montrant l’espoir de rencontrer l’animal rare, mais aussi la beauté d’une nature sauvage, loin de la civilisation. Munier insiste plusieurs fois sur le fait que notre monde est en grande partie abimé, saccagé et qu’il aime tant se mettre à l’affût d’animaux dans des lieux retirés du monde (pour une fois, Tesson se tait, ou presque, mais il se rattrape dans livre). Ce film est une réflexion sur l’écologie, mais aussi sur la patience. C’est un documentaire animalier, certes, mais d’une telle beauté qu’il séduira un public très large.

La panthère des neiges, Marie Amiguet et Vincent Munier

France – 2021 – 1h32


Texte : Anne-Sophie De Sutter

Crédits photos : Vincent Munier et Paprika Films / Kobalann Productions, via Dalton Distribution


Les citations sont extraites de : Sylvain Tesson, La panthère des neiges, Folio, 2021, p.23-24 et p.148-149

Texte original de « We are not alone », interprété par Nick Cave et Warren Ellis et écrit par Sylvain Tesson:

This world has ears and rocks have eyes
Nature loves to hide
The world is a bush full of fiery eyes
Nature loves to hide

I've travelled a lot, I was observed
I was observed and unaware
I've travelled a lot unaware I was observed
I was observed
We are not alone (Good news for life)


La panthère des neiges

Agenda des projections:

Sortie en Belgique le 30 mars 2022, distribution Dalton Distribution

En Belgique francophone le film est projeté dans les salles suivantes :

Bruxelles: Aventure, Le Palace, Le Stockel, UGC Toison d'Or

Wallonie: Nivelles Ciné4, Rixensart Ciné Centre, Jodoigne L’étoile, Mons Plaza ArtHouse, Liège Sauvenière et Le Parc, Stavelot Ciné Versailles, Habay-la-Vieille Le Foyer, Virton Patria, Namur Cinéma Cameo, Nisme Ciné Chaplin

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