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Focus

Vincent Munier, poète discret et talentueux photographe

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publié le par Philippe Ferriere

"Le monde ne mourra pas par manque de merveille mais uniquement par manque d'émerveillement" — Vincent Munier

Voici peut-être, en une phrase, résumée l’œuvre de cet homme discret et insaisissable. S’il était un animal, ce pourrait être un loup ou un oiseau de proie. Peu de traces de passage, difficile à trouver, à approcher, à suivre, solitaire. L’adage qui prétend que les chiens ne font pas des chats, se concrétise une fois encore ici. « De mon enfance je garde l’image de mon grand-père et de sa grande main tendue qui m’attendait pour partir en forêt ». Récompense. Apprentissage du silence et de l’attente. Patience. Et toujours cette phrase : « Si tu bouges tu ne verras rien ». Oh impatience, tu m’en as joué des tours !
Ce parcours, vécu par moi il y a bien longtemps, a été le même pour cet enfant des Vosges qu’est Vincent Munier. Certes à la différence que je n’avais pas reçu de boite magique pour capturer toutes ces aventures

Révélation, capter ces instants magiques

La frénésie de l’immortalisation commence. Pour cet enfant de douze ans, voici un destin qui s’annonce. D’un père convaincu qu’un respect profond de la nature s’impose si l’on veut en découvrir ses secrets, il héritera de ce besoin d’immersion au plus profond du paysage. Se fondre dans le décor. De ces années de début d’adolescence et de questionnement existentiel, il garde le souvenir d’une présence paternelle engagée et constante. Les encouragements à cet âge ne sont pas superflus. Bien sûr il y a les études aussi, mais voici bien la preuve qu’il n’est pas toujours indispensable de les réussir haut la main pour s’en sortir dans la vie. Débrouillardise, petits boulots et persévérance vont amener les premières récompenses. Les premiers grands voyages aussi.

Premier voyage le nez en l’air

À dix-huit ans, c’est du ciel que lui viendra cette fièvre de l’expédition lointaine. D’où viennent ces élégantes grues cendrées et où vont-elles. Pas le choix, le nez en l’air il faut les suivre. Point de départ ou d’arrivée de ces grands migrateurs, la Scandinavie et, plus particulièrement, le Nord en général vont fasciner cet explorateur. Peut-être la lumière, ces hivers rudes, ces grands espaces sauvages et surtout le courage des animaux durant ces périodes de froid longues et impitoyables.
À dix-neuf ans, le voici déjà, pour cette aventure nordique, récompensé et encouragé par le prestigieux prix BBC Wildlife, Wildlife Photographer of the Year, compétition de photographie animalière annuelle, dirigée par le Musée d'histoire naturelle de Londres et BBC Wildlife. Pas simple à ce jeune âge de se faire une place parmi ces pointures du milieu photographique, mais la brèche est ouverte.

On retrouve ici Vincent Munier, qui s'exprime à ce sujet dans le film Des grenouilles sur le toit, de Maxence Lamoureux

En parallèle de ces reportages commencent également l’édition de livres, recueils de photos, expos, conférences. Un vie d’émerveillement qu’il veut partager, offrir au plus grand nombre. Sa ligne de conduite reste imperturbable. Ne jamais oublier que l’étranger, dans cette hasardeuse observation animale, cela reste nous les humains. Capter le rythme de la nature. Arriver discrètement et s’en aller sur la pointe des pieds. La recherche de l’éternel juste milieu reste chez lui omniprésente. Et si faire découvrir ces choses magnifiques était une mise en danger de ces raretés ? De par la diffusion de ses reportages, sa vision privilégiée de ces spécimens en danger ne va-t-elle pas les mettre encore plus en danger ? Possible, mais leur survie est peut-être aussi à ce prix-là.

2012, Afrique, des loups et des hommes

Pour ce nouveau défi, ce sera le rare loup d’Abyssinie qui va tenir en haleine notre bourlingueur. Cousin éloigné de ‘’notre’’ loup européen, il n’a pas choisi les endroits les plus faciles pour survivre ! Nuits polaires et journées torrides sont au rendez-vous.

Sans doute la maturité aidante, on remarque qu’au fil du temps les reportages se font plus poétiques, plus philosophiques. Il y a le sujet principal bien sûr, mais il y a les rencontres humaines aussi et les longues heures d’affût qui laissent le temps à la réflexion, presque à la méditation. L’expérience aidant, la qualité des reportages va grandissante et la collaboration de son maintenant fidèle réalisateur Laurent Joffrion n’y est pas pour peu. L’accompagnement musical de Charlélie Couture convient à point à cette évasion africaine.

Laurent Joffrion

Émotions et sensations guident ses pas et son travail depuis toujours. Direction les hauts plateaux éthiopiens. Là-haut, sur les toits d’Abyssinie, vivent des loups au pelage roux, uniques au monde et particulièrement menacés. Vincent Munier a un but : se fondre dans le décor et approcher cet animal mythique. Une quête qui le mènera à la rencontre des éleveurs nomades Oromo, et à la découverte d’autres espèces, rares et méconnues : le Nyala des montagnes, le singe lion Gélada, le gypaète barbu, l’étonnant rat-taupe géant… Avant d’apercevoir une tanière, des silhouettes de louveteaux... Approche à pas de loup.

L’alchimie de la rencontre de ces deux passionnés ne peut que donner de merveilleux moments de cinéma et de découvertes aux spectateurs, voici une interview croisée de deux perfectionnistes :

2014, retour vers le froid du pôle Nord

Le Grand Nord pour des mois d’immersion dans un long hiver à la recherche de ces préhistoriques bœufs musqués. Il faut être bien fait pour survivre là-haut !

Plus que la quête d’un animal, il s’agira dans ce film de partir à la conquête d’un milieu qui ouvre les portes du Grand Nord : la toundra. Dans la diversité de ces habitats nordiques vivent les animaux emblématiques du vieux continent : l’élan, le renne, les bœufs musqués, le grand tétras… Autant d’espèces reliques d’un autre âge, celui de la dernière ère glaciaire. Autant de rencontres, évidemment, à mettre en images. En admirateur inconditionnel de toute la beauté de ce monde fragile, Vincent Munier a su garder cette émotion des premiers jours. Ce ‘’patrimoine familial ‘’ donne à son œuvre une dimension toute personnelle qui lui est propre. L’admiration qu’il portait évidemment à son père mais également à ce très visionnaire peintre, graveur, naturaliste, écrivain et philosophe qu’était Robert HAINARD (1906-1999) n’y est pas étrangère.

Découvrez aussi notre interview de Pierre Hainard (fils de Robert) à propos de l’œuvre de son père dans notre publication Le Cerf, une histoire de passions (page 69 -> 75)

https://www.pointculture.be/webdocs/service-educatif/flipbook/brochure-le-cerf/#page69

2015, l’appel de l’extrême, pôle Sud

Au fil du temps, l’orientation se précise et il devient un de ces hommes du froid, de l’extrême. Commandes et reportages s’enchainent. La difficulté et la rareté deviennent sa marque de fabrique. Son intérêt grandissant pour les espèces animales en voie de disparition est devenu une priorité. Du Grand Nord au Grand Sud, le voici sur tous les fronts.

Cette nouvelle réalisation Antarctica nous plonge au cœur de cette froide aventure. Protégé en apparence des aléas du dérèglement climatique, l'Antarctique subit à distance les conséquences néfastes des activités humaines. Ce continent gelé d'environ 13 millions de kilomètres carrés a longtemps été préservé, notamment grâce à un traité international qui interdit l'exploitation de son territoire à des fins non pacifiques, et y proscrit également les essais nucléaires. Mais aujourd'hui, des signes inquiétants sur la biodiversité et le cycle de la glace apparaissent. Basée dans la station Dumont-d'Urville, une équipe scientifique observe ces phénomènes, dans le cadre de l'expédition Wild-Touch Antarctica.

2019, cordillère Cantabrique, beautés sauvages

La quarantaine arrivée, la compagne idéale rencontrée, l’envie de voyager se fait moins sentir. Sa dernière réalisation en est la preuve. Plus proche de sa terre natale, c’est l’ours de la cordillère Cantabrique au nord de l’Espagne qui, en 2019, a retenu son attention. Rencontres animales bien sûr, mais humaines également. Le film Ours, simplement sauvage, réalisé avec Laurent Joffrion, a reçu notamment le grand prix du Festival International Nature Namur en 2019.

Laurent Joffrion, réalisateur, et Vincent Munier se sont rendus dans les Asturies, dans le nord de l'Espagne, pour explorer les monts Cantabriques et partir à la rencontre de la faune exceptionnelle qu'ils abritent. Au cœur de ce monde sauvage préservé, ils ont découvert des mésanges, des cerfs, des ours, des loutres ou encore des loups, mais aussi des hommes qui ont le souhait de vivre en harmonie avec la nature. Sans vouloir faire un film trop polémique, ni revendicatif, ils ont voulu essayer de faire passer un message fort, de montrer que l’harmonie était possible.

Il faut souligner qu’il y a 40 ans, la situation de l’ours cantabrique et celle de l’ours pyrénéen (il s'agit de la même espèce mais de deux souches différentes) était similaire : en danger critique d’extinction, avec entre 10 et 20 individus sur l’ensemble des chaines de montagnes respectives. À cette époque-là, des associations comme la FAPAS (Fondo para la protección de los animales salvajes) ont décidé avec les autorités de vraiment mettre le paquet. C’est-à-dire une impunité zéro pour les braconniers, des actions d’indemnisation très fortes pour les propriétaires, éleveurs ou les particuliers qui subissent des dégâts liés à l’ours, et aussi de gros efforts de sensibilisation. Aujourd’hui, il y a plus de 300 ours dans les monts Cantabriques, alors que la souche pyrénéenne s’est éteinte. Donc la cohabitation est possible. Dans les Asturies, il y a eu un vrai changement d’image où l’ours est passé d’animal nuisible à animal patrimonial et ça, en France, on n’a pas été capable de le faire.

En 2015, la RTS (Radio Télévision Suisse) lui consacre un magnifique documentaire qui nous plonge dans l’intimité de ce solitaire :

Prêtons longue vie encore à ce fils des Vosges qui, par son parcours et ses talents multiples, n’a pas fini de nous faire prendre conscience de la fragilité de ce monde mais également des dangers de cette gestion catastrophique et avide de profit par certains, qui nous réserve un bien triste avenir si nous n’y prenons garde. Puisse la beauté de ses images nous en alerter.

Les films Abyssinie, l'appel du loup (Laurent Joffrion 2012) et Scandinavie, l'appel du Nord (Laurent Joffrion) sont disponibles dans la collection Nature de la médiathèque de PointCulture, et à ce jour, nulle part ailleurs !

Vincent Munier et sa compagne Marie Amiguet étaient les compagnons de route de Sylvain Tesson pour son bouquin La Panthère des neiges (Gallimard 2020), disponible en audiolivre dans notre collection. Ce périple a aussi fait l'objet d'un film, réalisé par Marie Amiguet, diffusé au festival de Cannes 2021, dans le cadre de la sélection éphémère "Le Cinéma pour le climat"

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"Je poursuis une bête depuis six ans, dit Munier. Elle se cache sur les plateaux du Tibet. J'y retourne cet hiver, je t'emmène. - Qui est-ce ? - La panthère des neiges. Une ombre magique ! - Je pensais qu'elle avait disparu, dis-je. - C'est ce qu'elle fait croire." — Sylvain Tesson